Le 24 septembre 2024, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé l’imposition de sanctions financières totalisant 8 millions d’euros à l’encontre de 11 laboratoires pharmaceutiques. Ces sanctions résultent du non-respect des obligations de stock de sécurité[1] pour certains médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), en violation du décret n°2021-349 du 30 mars 2021[2] et des dispositions du Code de la santé publique (CSP). 748 médicaments doivent désormais avoir un stock de sécurité de 4 mois (422 médicaments en 2021). Cette décision souligne la volonté des autorités de garantir la disponibilité continue des médicaments essentiels pour la santé publique.
Les obligations des laboratoires pharmaceutiques en matière de stocks de sécurité sont encadrées par plusieurs textes législatifs et réglementaires, notamment le Code de la santé publique (CSP) et le décret n°2021-349 du 30 mars 2021. L’article L. 5121-29 du CSP impose aux laboratoires de constituer un stock de sécurité pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, en tenant compte des volumes de ventes des douze derniers mois glissants. Le stock de sécurité doit couvrir les besoins en médicaments pendant une durée d’au moins deux mois, et jusqu’à quatre mois pour les médicaments ayant connu des ruptures ou risques de rupture réguliers.
Le décret n°2021-349 détaille les modalités de cette obligation. Il indique que le stock de sécurité doit être calculé sur la base des ventes en France des douze derniers mois glissants. Ce stock peut être entreposé sur le territoire national ou dans un autre État membre de l’Union européenne. Il est impératif pour les laboratoires de mettre à disposition de l’ANSM les informations relatives à la localisation de ces stocks.
Le non-respect de ces obligations expose les laboratoires pharmaceutiques à des sanctions financières importantes, comme le prévoit l’article L. 5423-9 du CSP et confirmé par les récentes décisions de l’ANSM. Le montant de ces sanctions peut atteindre jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires annuel du produit concerné, avec un plafond d’un million d’euros par infraction pour les personnes morales[3]. C’est ainsi que 11 laboratoires viennent d’être sanctionnés pour un montant total de 8 millions d’euros. Il peut être noté que l’ANSM fait une application stricte des dispositions du CSP puisque même avec un stock de sécurité de 3,5 mois, l’ANSM a sanctionné un laboratoire[4].
Mais les laboratoires pharmaceutiques doivent composer avec plusieurs contraintes qui peuvent rendre difficile la constitution d’un stock de sécurité de quatre mois. Parmi ces contraintes, on peut citer :
1. Les pénuries/retards d’approvisionnement de matières premières et d’articles de conditionnement : La chaîne d’approvisionnement globale peut être perturbée par des pénuries de matières premières essentielles à la fabrication des médicaments. De même, les articles de conditionnement, tels que les emballages et les étiquettes, peuvent connaître des retards d’approvisionnement. Ces pénuries et retards d’approvisionnement sont d’autant plus difficiles à gérer, quand pour maîtriser les coûts, les sous-traitants sont localisés à l’autre bout du monde.
2. Les capacités de stockage des dépositaires : les dépositaires sont limités par la superficie de leurs magasins.
3. Les problématiques industrielles : les lignes de productions ne sont pas toujours disponibles pour relancer une fabrication.
L’obligation de constituer un stock de sécurité de quatre mois pour les MITM entraîne des implications économiques et logistiques importantes pour les laboratoires pharmaceutiques. Le maintien de ces stocks mobilise des ressources financières considérables, notamment pour le stockage et la gestion des produits périssables. De plus, la nécessité de se conformer aux exigences réglementaires en matière de sécurité des stocks impose aux laboratoires de revoir leurs chaînes d’approvisionnement et d’adapter leurs capacités de production.
En réaction, le Leem, syndicat professionnel représentant les entreprises du médicament, a vivement contesté la tonalité et la pertinence de cette décision, mettant en avant les efforts déjà engagés par l’industrie[5].
Le débat entre l’ANSM et le LEEM soulève des questions importantes quant à la gestion des pénuries et la responsabilité des acteurs du secteur pharmaceutique. Il met en lumière la complexité de la gestion des pénuries de médicaments et la difficulté d’appliquer des solutions uniformes dans un secteur aux contraintes multiples. Si l’objectif de garantir l’accès aux médicaments pour les patients est partagé par tous, les moyens pour y parvenir font l’objet d’un désaccord profond. L’ANSM privilégie une approche coercitive, tandis que le Leem appelle à une meilleure coordination et à une prise en compte des réalités économiques et industrielles des laboratoires.
Sources:
[1] L’article R.5124-49-4 du CSP définit le stock de sécurité comme étant « le stockage du nombre d’unités de produit fini d’une spécialité prêtes à être distribuées sur le territoire français, au moins équivalent à la durée de couverture des besoins, calculée sur la base du volume des ventes en France de la spécialité au cours des douze derniers mois glissants hors situations exceptionnelles. »
[2] Décret n°2021-349 du 30 mars 2021 relatif au stock de sécurité destiné au marché national
[3] CSP, Art. L.5471-1
[4] https://ansm.sante.fr/actualites/decision-du-09-08-2024-portant-sanction-financiere
[5] https://www.leem.org/presse/reaction-du-leem-la-declaration-de-l-ansm-sur-les-sanctions-financieres